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jeudi 21 juillet 2011

Algerie :Le vent de la révolte ne veut pas souffler sur l’Algérie.


par Mohamed Rezzik .Ecrivain et journaliste



Printemps arabe : l’exception algérienne

«L’Algérie indépendante est une copie de l’Algérie colonisée» Ali Yahia Abdenour



Le vent de la révolte ne veut pas souffler sur l’Algérie. L’a-t-il épargnée ? L’atteindra-t-il un
jour ? Quand et comment ? Et beaucoup d’autres questions intriguent les observateurs de la scène politique  algérienne. Nous essayerons, pour notre part, de répondre à certaines d’entre elles sans prétendre détenir toute la vérité sur le cas de l’Algérie.
Entendons-nous à dire qu’à l’heure actuelle, le changement est le souhait de tous les Algériens. Les partis politiques de l’opposition comme ceux du pouvoir ne cessent d’appeler à des réformes politiques dignes des aspirations du peuple. Seulement, ce qui distingue les uns des autres est le fait que l’opposition demande un changement dans le cadre d’une rupture, tandis que ceux qui sont au pouvoir le veulent dans la continuité. Ce trait distinctif est  très pertinent dans la mesure où la rupture signifierait le départ et le jugement des responsables actuels, à leur tête le président de la République, comme il l’a proposé dernièrement M. Ali Yahia Abdenour, et la continuité donnerait aux hommes du régime une autre chance pour rafistoler un système peu démocratique.
L’opposition politique, en Algérie, ne parle pas le même langage. Elle est scindée en trois principales catégories ; une première, démocratique, chante en dissonance, une seconde, islamiste, n’attend que l’occasion pour s’exhiber avec force, et une troisième réticente. Ceux qui se réclament du camp démocratique veulent un passage direct vers une véritable démocratie. Sans ou avec les islamistes ? Toute la problématique est là. Avec les islamistes, la démocratie ne saurait convaincre grand monde. Sans les islamistes, l’Algérie ne serait qu’entre les mains des conservateurs «le FLN et ses dérivés».

La démocratie et les valeurs républicaines devront attendre encore longtemps pour se voir revendiquées par la plupart des Algériens. Ces derniers, tellement ils se connaissent bien, ils se refusent le jeu politique «néfaste» qui mène vers l’incertain. A notre humble avis, la non-adhésion des populations aux diverses actions menées par la CNCD est due essentiellement à cela.
Le peuple algérien, contrairement aux autres peuples arabes, a eu une expérience amère et douloureuse en matière de tentative de changement du régime politique. Il a payé cher la facture d’un choix suicidaire effectué dans l’euphorie des événements qui ont vu naître le multipartisme en Algérie. Aujourd’hui, il semble préférer la servitude à l’incertitude. Un Algérien, quand il choisit, il est très difficile de lui faire changer d’avis ! Néanmoins, des voix continuent de s’élever çà et là, mais sans qu’il y ait vraiment un quelconque aboutissement. Le pouvoir veille à ce que la contestation soit réduite au seul aspect social, tout en affichant une certaine disposition à satisfaire quelques revendications tant qu’elles ne remettent pas en cause sa légitimité.
Certes, des étudiants ont été massacrés, des médecins ont été tabassés, des franchises universitaires et hospitalières ont été violées, des gardes communaux et des patriotes ont été méprisés et maltraités malgré ce qu’ils ont donné pour l’Algérie… mais les dirigeants, à aucun moment, n’ont senti le danger parce que les efforts étaient éparpillés et aucun mouvement n’a daigné soutenir ou joindre l’autre. Il nous est très difficile de comprendre ce qui motive l’obstination du pouvoir à faire durer l’interdiction de marcher à Alger. Si l’interdiction venait à être levée, y aurait-il un mouvement politique qui pourrait convaincre les Algériens de la nécessité de sortir dans la rue ? Y aurait-il une personnalité politique qui réussirait à rassembler autour d’elle l’essentiel de la classe politique algérienne ?

Mis à part «le parti des voyous», aucune formation partisane n’est en mesure de faire bouger la rue algérienne. «Les voyous» n’ont jamais réclamé le départ du système et ils ne réclameront jamais tant que tout est mis à leur disposition ; prêts bancaires, impunité, avantages sociaux… etc. Ils sont les chanceux de l’Algérie de Bouteflika à côté des «égorgeurs repentis». Dans certaines régions du pays, l’Etat c’est eux ; on les craint beaucoup car ils jouissent d’une énorme capacité de nuisance. N’ont-ils pas rendu un grand service au pouvoir en participant à la campagne de pacification de la Kabylie au lendemain des événements du Printemps noir ? N’ont-ils pas participé activement dans l’opération de la dépolitisation de la Kabylie ? Il serait ingrat de nier leur rôle important dans le retour du FLN et le surgissement de la mode RND dans les villages kabyles.
La succession et l’amoncellement de l’échec depuis la guerre de Libération nationale est la principale cause de la servitude volontaire à laquelle se résignent les Algériens aujourd’hui. Quand on entend des anciens militants de la cause nationale dire que «l’Algérie indépendante est une copie de l’Algérie colonisée», il nous est permis de tenter une relecture de l’histoire de notre pays loin des duperies des faux Moudjahidine et avec un peu de pragmatisme en vue d’éluder les différentes erreurs commises jusque-là.
Seul le renoncement au nationalisme populiste et autoritaire est susceptible d’ouvrir de nouvelles voies vers une Algérie meilleure, où chaque Algérien trouvera ses repères et ses espoirs. Ce choix, tellement il s’interdit même au sein des élites, est devenu l’impensable au niveau des masses populaires. L’histoire officielle peut toujours continuer à raconter ses anecdotes tant qu’il existe un auditoire sensible au discours épique.

A entendre le premier ministre Ahmed Ouyahia, on comprend bien qu’un certain changement est en train de s’effectuer en ces moments en Algérie. On passe de l’ère de Bouteflika vers une époque où Ouyahia serait «le maître du pays ». Il ne le dit pas textuellement, il le sous-entend «la présidence est une question de destinée», répondit-il à une question d’un journaliste.
L’ambition et la confiance en soi lui ont permis d’opposer un niet irréversible aux revendications des différents mouvements sociaux. Quand un homme politique ose défier toute une dynamique sociale, en plein contexte révolutionnaire, il ne peut s’agir que de comédie. On pourrait comprendre que toute cette gesticulation n’est en réalité qu’une manière d’éviter la convergence vers l’exigence d’un  véritable changement politique. En somme, Ouyahia a les mêmes ambitions qu’avait Krim Belkacem à la veille de la désignation de Benkhedda à la tête du GPRA mais… Telles sont les propriétés politiques  d’une Algérie qui constituera certainement l’exception dans un monde arabe subissant de profonds bouleversements dans le cadre des révolutions qui ne sont pas forcément révolutionnaires
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Algerie :une point de vie


Pourquoi l’Algérie régresse-t-elle ?

Il faut penser en homme d’action et agir en homme de pensée» Henri Bergson (1859-1941), philosophe français. Pourquoi l’Algérie régresse-t-elle? A-t-on osé un jour poser cette question? On n’en sait pas trop. L’essentiel, c’est un peu aventureux d’esquisser un article par une interrogation pareille dans une circonstance pareille. Mais il s’avère à la fois angoissant et amusant d’essayer d’y apporter réponse.

Le simple citoyen est curieux de savoir la raison de cette débandade nationale au moment où le printemps arabe change les données du temps et de l’espace en dévissant les totems des oligarques «gérontocrates » et autocrates avec une extrême frénésie et un enthousiasme débordant. Il semble que les temps ont changé et les Arabes avec.
L’Algérie, quant à elle, est dans l’embarras du choix, le potentiel démocratique dont elle dispose la classe, sans conteste, parmi les grandes nations novatrices dans l’espace arabo-musulman qui ont étrenné les parures de la liberté. Les exemples en sont à foison.
Nul besoin de les énumérer, l’histoire retiendra à jamais cette flamme de révolte qui a soufflé un certain 5 Octobre 88 sur un pays phare du Tiers monde dans les années 70 dont l’usure des gouvernants aurait hypothéqué les chances de survie.
Toutefois, cette avancée démocratique sans parallèle dans toute l’étendue arabe a malheureusement freiné sa cadence pour tomber dans le gouffre de la décadence. Pourquoi? Peut-être est-ce à cause du terrorisme ou en raison de la fuite de l’élite et la désorganisation des masses. Les hypothèses autant que les réponses sont multiples alors que les solutions tardent à venir afin d’apaiser les esprits des citoyens.
Le constat est accablant: notre pays est en régression!! Une régression somme toute terrible voire intenable. La population en suffoque et ressent un arrière-goût d’amertume. On voit bien se profiler à l’horizon en ces moments très critiques de la vie de l’Algérie, une sorte de défaitisme total de l’élite et un extrême relâchement des masses populaires. Les deux blocs s’entrechoquent violemment à chaque occasion sans s’imbriquer réellement au moins une seule fois.
On constate même une certaine déchirure entre eux sur fond d’incompréhension et de méfiance. La relation masses-élites est en vérité très intéressante à plus d’un égard pour pouvoir mettre en évidence le degré d’efficacité d’un système social quelconque. Le régime politique algérien est on ne peut plus dans une impasse politique vu que le printemps arabe a esquissé les prodromes d’un bouillonnement et d’une angoisse populaires sans commune mesure dans l’histoire de l’Algérie contemporaine.
La flamme insurrectionnelle arabe a creusé par ricochet une béance inattendue dans la représentation générale de l’autorité chez les Arabes et les Algériens.
En d’autres termes, la peur qui est par nature la source de tout despotisme et qui instaure de surcroît le rapport de forces entre la société et le régime politique s’est mué en un laps de temps relativement très court en une certaine compétitivité acharnée entre eux dans le seul but d’accaparer la légitimité dans son sens le plus large (politique, populaire, révolutionnaire, et progressiste…).
Au fait, depuis pratiquement presque 50 ans, les sphères dirigeantes en Algérie sont restées toujours les mêmes, on assiste à une forme de sclérose élitiste hallucinante d’autant plus que la vieille garde nationaliste tient encore les rênes du gouvernail de l’État alors que la jeunesse sombre dans le noir de l’indifférence et de la peste chronique de ce que l’on a baptisé communément et lucidement du nom de la «Hogra». C’est dire que la régression symbolique de la signification du pouvoir politique a atteint les cimes de l’ubuesque
On est actuellement dans tout le monde arabe en pleine période de désacralisation du chef, du guide et de dictateur après en avoir très longtemps loué les mérites et les prouesses. C’est un retournement de choses et de phénomènes fort compréhensible vu que les réalités sociales ont changé au fur et à mesure que les critères temporels de toute civilisation se déplacent, se transforment et se développent suivant le cours de l’actualité mondiale.
Le sociologue anglais Herbert Spencer(1820-1903) parle en ce sens du développement progressif de la physique des sociétés. L’évolution incroyable des réseaux sociaux ( Google, Facebook, Twitter, Internet…) est à n’en point douter le facteur principal de ce désenclavement mental et civilisationnel de la rue arabe en général et des masses algériennes en particulier.
Néanmoins, la régression et l’évolution de la société sont deux paramètres inaliénables pour jauger et juger les capacités d’émergence et de rejaillissement des potentialités nationales. Elles sont essentiellement à la fois question d’indifférence et de conscience politique.
La régression a, de tout temps, été synonyme de défection sociale de la société civile et de défaillance politique des élites gouvernantes. Elle est, en termes plus simples, la déchéance des valeurs, la décrédibilisation de la compétence et le réétalonnage à la négative de l’échelle de valeurs sociales, variables qui pourraient faire glisser la pente des difficultés socioéconomiques, et induire inéluctablement en erreur le spectateur, l’observateur et l’analyste de la vie sociale, cette deuxième variable est la plus vulgarisée dans le cas de notre pays à tel point qu’elle est devenue d’une banalité choquante.
En effet, la multiplication de zones de tensions et de turbulences entres les deux espaces, c’est-à-dire, la société et les masses en Algérie n’a fait qu’engendrer une espèce de guerre froide très larvée où chacune des parties tire la couverture à soi.
L’apparition du phénomène de l’émeute comme donnée inchangeable dans le panorama politico-social a donné un semblant de statisme et de violence dans les tempéraments et les comportements des Algériens. D’aucuns s’interrogent sur les raisons de cette régression terrible que subit notre pays sur tous les plans.
Une si cruelle situation où toutes les supputations et conjectures sont de mise. Pourquoi donc l’Algérie régresse-t-elle de jour en jour empruntant de la sorte un chemin de chute libre? Le dernier avatar de l’échec footballistique de l’équipe nationale et la chronique tumultueuse du débrayage de la compagnie «Air Algérie» posent nombre de problématiques inhérentes au quotidien de l’Algérie malade.
Le malaise social est, paraît-il, trop profond et le pessimisme a impitoyablement ravagé des pans entiers de la population, la rue donne une impression de lassitude et de ras-le-bol à la fois généralisé et insupportable sur fond d’un rebond de conservatisme dans les moeurs et les esprits. L’Algérie d’aujourd’hui est prise en sandwich entre son désir de modernité et la force réactionnaire du traditionalisme et du pessimisme. Ce dernier est une tumeur maligne à rajouter au chapelet des souffrances dont pâtit toute une population.
A dire vrai, les régressions ne sont plus circonscrites à leur aspect économique, au contraire, elles sont protéiformes, il y en a celles qui sont normatives, c’est-à-dire liées directement aux lenteurs administratives et à la bureaucratie pathologique, il y en a d’autres d’ordre technologique ayant trait aux retards enregistrés en matière de développement des infrastructures industrielles et de pôles de recherche scientifique et puis il y en a quelquesunes typiquement mentales et intrinsèquement liées aux syncopes et aux blocages intellectuels des élites culturelles et dirigeantes, leur manque d’engagement social et la faiblesse de leurs relais dans la société civile.
Mais la plus dangereuse régression reste sans l’ombre d’un doute celle qui est morale. C’est en effet, celle-là qui contamine les ressorts sociaux qui font agir le pays à l’heure présente. Elle est telle une crampe collective très chronique qui subvertit les fondements sociologiques des soubassements de la nation.
Quand la santé morale d’un pays est atteinte, il ne lui reste qu’à se livrer à la potence de l’évolution historique. Ainsi, on devine à peine le bout de ce long tunnel où le chamboulement de repères le dispute royalement à la gabegie de sens et à la reculade de la morale. On est en quelque sorte en phase de démoralisation collective inquiétante. C’est pourquoi, il est si nécessaire de revitaliser les angles morts de la déontologie, de la morale, et du patriotisme.
Le pessimisme et la fuite du bon sens ont annihilé les limbes d’espoir qui demeurent récalcitrants au fatalisme des masses, au défaitisme de notre jeunesse et à la misère intellectualiste de notre intelligentsia Mais quelles en sont les raisons?
En réalité, les crises sont des moments de réflexion par excellence, des moments où l’on pourrait regarder face-à-face les blessures béantes du tissu social, en analyser les causes et y préconiser donc des solutions adéquates dans la mesure où elles nous permettraient de nous immerger dans notre réel vécu psychosocial.
Or, à bien y regarder, la crise algérienne a toute une autre nature qu’il est si ardu d’en déceler les symptômes et les diagnostiquer en toute objectivité.
Pour preuve, les dernières réformes proposées par le régime politique en place et bâclées par des élites qui tournent souvent autour du pot, ont raté leur coche puisqu’elles ont été fomentées dans la seule intention de marginaliser la société civile, véritable colonne vertébrale de l’État de droit. En fait, l’ordonnance politique n’a malheureusement pas été délivrée sur avis de la médecine sociale de l’intelligentsia.
En Algérie, les solutions politiques jaillissent de nulle part dans le seul dessein de mettre un terme à des problèmes qui ne relèvent pas nécessairement de l’ordre strictement politique. On est, s’il l’ose dire, tombé sous le panneau d’un certain «politisme de politicards» qui a tué dans l’oeuf et l’esprit la vraie politique des politiques. En ce sens, le négativisme de la pensée a pris des allures de géants sur le positivisme dans l’analyse de la crise qui secoue les entrailles de toute la société.
Cela dit, le pessimisme se voit un peu partout dans le panorama sociopolitique du pays, aussi bien chez les élites dirigeantes que chez les bas-fonds de la population en raison de la grisaille qui entoure les centres de décision, du manque de vision d’avenir et de perspectivisme de la société.
Certes, le désenchantement est le signe avant-coureur d’une certaine maturité politique de la population, il est, sans doute, une étape importante dans la vie des nations de nature à ressouder leurs failles, à apaiser leurs souffrances et à cicatriser leurs plaies puisqu’il tend à rendre les citoyens plus réalistes et moins utopiques.
Cependant, ce phénomène dans notre pays s’est aggravé dès qu’il est passé du stade de symptôme à celui de syndrome, c’est-à-dire du stade de l’éphémère à celui du permanent. Dans cette situation et loin de se projeter dans le catastrophisme, la logique ascensionnelle de la société se retourne terriblement contre elle pour sceller son sort dans le pessimisme. Les psychologues parlent dans ce cas de figure du pessimisme secondaire, celui dans lequel l’espoir est étouffé et les horizons sont immanquablement bouchés.
Autrement dit, ce genre de pessimisme qui freine le volontarisme et tue l’intelligence chez les masses en fortifiant en elles, les fausses illusions qui s’éloignent de leur cible réelle. Ceci explique en partie le mirage des Harragas, l’utopie de l’exil qui s’enracine dans le coeur des jeunes algériens et la tendance de plus en plus matérialisante de la société dans son ensemble ces dernières années. Dans ce contexte, affirmer que la crise algérienne est plus morale que politique, économique ou sociale contient une forte dose de bon sens.
A titre d’exemple, la grève sur le tas du personnel navigant de la compagnie Air Algérie rentre logiquement dans cette grille de lecture. Loin de minimiser les revendications sociales de son personnel qui sont d’ailleurs plus que légitimes, cette grève suscite des interrogations supplémentaires sur le désordre qui règne sur les cerveaux de nos responsables à tous les niveaux. Ni préavis, ni relances ni déclarations de grève ne sont avancés pour justifier un tel état de choses.
Logiquement, dans de pareilles situations, un minimum de rigueur et d’organisation est requis car dans toute démarche de protestation ou mouvement de revendication, une grève quelconque ne se décrète que sur la concertation de la base sociale qui est en ce cas l’ensemble des voyageurs et des clients et cela afin de parer à tous les désagréments qui pourraient en découler. La base sociale devrait toujours être tenue au fait de ce qui s’y passe.
En réalité, ce constat vaut son pesant d’or puisque le désordre et l’improvisation l’ont emporté, contre toute attente, sur l’organisation et la planification dans ce débrayage de la première compagnie aérienne du pays. A la vue de ce diagnostic, on pourrait en dire autant de tous les secteurs névralgiques de l’Algérie (santé, éducation, agriculture…etc.). Les mouvements de protestation sont souvent empreints d’une overdose de spontanéité.
Cela justifie l’échec de tous les mouvements de protestation au niveau national et leur transformation en émeutes sporadiques et erratiques. La défaillance du pluralisme syndical a fait capoter toutes les tentatives de mise en synergie des efforts de solidarité sectorielle. On ne pourrait aucunement limiter ce tableau sombre au seul domaine de protestations.
La limitation du droit d’information à une seule chaîne de télévision multipliée en trois gigantesques sosies est un véritable camouflet pour les autorités publiques. Le pays a une diversité culturelle qui fait certainement sa richesse et qu’il faut obligatoirement redynamiser par l’ouverture des médias au privé sans soumettre cette proposition au commission de réformes de Bensalah car c’est une évidence qui ne prête pas à débat.
Le peuple algérien est mûr et n’a plus besoin ni de tuteur ni de protecteur, il a le droit de décider en toute liberté de ses choix et options politiques sans pression ni surenchère, ce qu’il a d’ailleurs suffisamment prouvé durant son épopée millénaire qui ajoute à sa fierté. Néanmoins, l’Algérien recherche la paix sociale et surtout la paix intérieure. Or, dans le contexte actuel, le baromètre est au rouge et la misère sociale et morale a dépassé son pic le plus paroxystique.
Il ne s’agit pas seulement du volet économique mais aussi de la question vitale d’épanouissement moral. Il y a, au fait, un manque flagrant en matière d’infrastructures de loisirs, de lieux de culture et d’espaces d’échange citoyenne. Les pouvoirs publics auront vraiment du pain sur la planche s’ils veulent réellement opter pour des changements profonds et non pas pour des retouches superficielles qui badigeonnent les trous mais ne les calfeutrent plus.
Lesquels changements seraient à moyen et long terme à même de désengorger le pays du marasme multifactoriel et multidimensionnel dans lequel il se retrouve. L’initiative de l’ancien chef de gouvernement «Ahmed Ben Bitour», les propositions intéressantes de la triade «Mehri-Ait Ahmed- Hamrouch» et l’expérience des jeunes promoteurs de «Nabni» sont des alternatives courageuses à valoriser et à étudier dans ce sens.
On est, si l’on veut, dans la phase de «déconstruction » de l’écheveau de la crise pour pouvoir l’étaler en toute honnêteté sur la voie publique, raison pour laquelle toutes les propositions devraient être les bienvenues pour le bien de l’Algérie.
Aussi faudrait-il insister sur le fait que les rafistolages politiques du sérail dont il est question la dernière fois sont passés à côté de cible sans même avoir frôlé les blessures de la société qui est sortie très meurtrie d’une décennie de larmes et de sang. Notre peuple a payé cher son baptême de feu pour le changement depuis l’indépendance.
Il est extrêmement important en ce moment de mettre en relief le «feed-back» du sous-sol social dans l’unique optique de comprendre les cris de détresse de ses franges les plus déshéritées et les plus appauvries. A défaut de ce travail de prospection et de défrichement, le régime algérien accélérerait facilement le rythme de la grogne sociale qui est déjà balbutiante à l’heure présente.
Les réformes politiques devraient être l’oeuvre des décideurs en collusion étroite avec la société civile et les basfonds de la plèbe et non plus une injonction des puissances occidentales. En dernière lieu, on serait à même de dire que la régression saurait se muer en progression s’il y a une volonté politique qui jure avec les mensonges, les fuites en avant et les supercheries. C’est à ce prix de sacrifices que l’Algérie reconquerrait sa place au panthéon des grandes nations.

Algerie :la vie d un jeun algérienne

Aziz, 35 ans, trabendiste à Alger,trafiquant à Casablanca, affairiste à Tripoli, exportateur à Tunis

Reportage. Aziz a 35 ans, mais donniez lui10 de plus que vous ne vous y tromperiez pas. Ce paquet de nerfs a le corps sec et noueux d’un oléastre de cette petite Kabylie dont il est originaire. Aziz fait partie de ses petites mains porteuses de cabas qui ont décidé de se jouer des frontières fermées et des Etats fâchés. De Casablanca à Alger, de Tunis à Tripoli, Aziz fait son business en achetant ce qu’il y a de mieux chez les uns pour le revendre chez les. A sa manière bien à lui, il réalise, ce projet de Grand Maghreb, que les politiciens n’appellent de leurs vœux que pour mieux l’enterrer de leurs décisions.

Depuis les événements de Tunisie et de Libye, Aziz se rend trois à quatre fois par semaine, au moins, au Maroc, plus précisément, à Casablanca, capitale économique du royaume chérifien « A Casa, j’achète de la petite pièce détachée dans les casses auto, des pyjamas pour femmes et des caftans marocains », dit-il.
Aziz a un sens aigu des affaires. Plutôt que d’acheter un caftan à 700 dirhams (1 dirham vaut environ 10 dinars), il achète du tissu à 250 dirhams avant de commander des modèles fournis sur photographie à des tailleurs qui prennent 150 dirhams par pièce réalisée.
Ainsi, il économise 300 dirhams sur chaque caftan. Il revend en gros à Alger la dizaine de caftans qu’il amène dans ses bagages à raison de 11 000 dinars pièce et réalise un joli bénéfice au passage.
Un turbo made in France, acheté l’équivalent de 13 000 dinars à Casablanca, est revendu le double à Alger. A chaque voyage, Aziz engrange une dizaine de millions de centimes de bénéfices. Net d’impôts.
Graisser la patte
Aux douanes marocaines, le transit est plutôt facile, explique-t-il. Il suffit de glisser un petit billet de banque dans le passeport et l’affaire est dans le sac. C’est au niveau des douanes algériennes que l’affaire se corse. « Ils sont insatiables. Ils peuvent te bouffer tout ton bénéfice et même ton capital », maugrée Aziz.
Si au Maroc, Aziz fait de l’import, pour la Tunisie il fait plutôt de l’export. Des téléphones et des ordinateurs portables, de la pièce détachée, rare et chère, et du corail. Bref, tout et n’importe quoi.
Pour la Libye, quelques berlingots de vin algérien achetés à 230 dinars pièce sont revendus 50 dinars libyens. Soit l’équivalent de 3500 dinars algériens. Sa marchandise liquidée, il achète des boxers et des pantalons pour les revendre à Alger avec une marge conséquente.
Mais depuis que la guerre a éclaté au pays de Kadhafi, les affaires marchent beaucoup moins bien. Trop de complications, trop de risques.
Si le business est florissant à Casa, à Alger ou à Tunis, il n’est plus de même pour la Turquie, jadis Eldorado des trabendistes algériens. Depuis que la monnaie turque est devenue trop chère, Aziz a mis une croix sur Istanbul pour se concentrer sur les pays du Maghreb. « Le seul problème est que les prix d’Air Algérie sont trop chers », dit-il.
Ainsi, pour rallier Ankara, il se rend par route en Tunisie pour prendre l’avion. Prix du billet : 2770 dinars contre 48 000 à partir d’Alger. Il n’y a pas de petits profits.
Tbezniss florissant
Dans le « tbezniss » depuis 1992, Aziz a pu ainsi s’acheter un petit lot de terrain pour construire une maison, se marier. Le Maroc c’est la terre promise pour lui. Même avec les frais du billet d’avion, de l’hôtel et de la nourriture, il arrive à faire de substantiels bénéfices. « Tout est mieux au Maroc. En plus on se sent plus libre là-bas qu’en Algérie», dit-il.
Aziz connaît Alger, Tunis et Casablanca comme sa poche. Il en parle : « Tunis est sécurisée mais Casa est comme Alger, il faut faire gaffe aux agressions ». A preuve, Aziz montre sa poche de blouson tailladée d’un coup de canif ou de lame. « Ils m’ont vu prendre ma marchandise », explique-t-il. « On peut te faire la peau pour 100 dirhams », dit-il encore.
Et le business, Aziz sait y faire.
Mercedes et « double zéro ».
Pour faire passer du kif, il faut beaucoup d’argent et des connaissances solides. Au minimum, il faut avoir un commercial de la douane comme complice. « Côté marocain, personne ne cherche après toi. Pourvu que le business marche », dit Aziz. Une fois arrivé à l’aéroport d’Alger, le passeur appelle au téléphone son complice et lui donne le numéro du bagage qu’il doit récupérer sur le tapis roulant. Et le tour est joué.
Ni vu, ni pris. Le kif de la meilleure qualité est appelé « Mercedes ». Arrivée à Alger, la marchandise est coupée avec du henné, du cirage... Bref, des matières dont la simple évocation vous donne une petite idée des ravages qu'ils peuvent causer sur les consommateurs.
« C’est à cause de toutes les saletés qu’on y incorpore que l’on voit de jeunes drogués d’à peine 20 ans trembler comme des parkinsoniens », explique Aziz.
En Algérie, le kilo de kif est alors multiplié par trois pour être revendu entre 16 et 20 millions de centimes. Selon sa qualité. Il y a la Mercedes, la double zéro, la Tbissla et le savon. « Si un grossiste tombe, la marchandise se fait rare et les cours peuvent flamber et monter jusqu’à 20 briques le kilo », dit-il encore.
Il n’y a pas que le kif pour chasser le spleen des jeunes maghrébins. La coke a fait son apparition ces dernières années. La meilleure qualité, appelée « cristal », se vend à 700 dirhams à Casablanca. A Alger, les prix doublent, triplent même. La clientèle de cette poudre blanche plus chère que l’or ? La jeunesse friquée de la nomenklatura, la jet-set. Avec un rail de coke, le fils d’un gros ponte ou d’un nouveau milliardaire peut sniffer en quelques secondes le salaire d’un smicard. Même avec des produits aussi chers, il y a souvent tromperie sur la marchandise.
12 000 dinars le gramme de coke à Alger
C’est que la coke est coupée avec des anxiolytiques comme « Laroche » ou « Laroxyn » ou bien encore de la simple farine pour être vendue comme étant du « cristal » à 12 000 dinars le gramme. « Il y a un argent fou là dedans, mais ce n’est pas n’importe qui fais ça. Pas les petits moineaux comme moi », dit Aziz.
L’année dernière, un réseau dans lequel agissaient notamment le fils d’un ancien ministre et le rejeton d’un général a d’ailleurs été démantelé dans le quartier huppé de Hydra, sur les hauteurs d’Alger.
Mais kif et coke ne sont pas les seuls produits qui font l’objet de trafic entre les deux pays. Il y a aussi, l’essence, le gasoil.
« Si tu n’es pas content, va te plaindre à Bouteflika ou à qui tu veux ! »
Tout voyageur qui passe un jour à Maghnia, dernière ville d’Algérie avant la frontière marocaine, ne manque pas de remarquer ces interminables chaînes de voitures de marque Mercedes devant les pompes à essence.
En se présentant de nuit à la pompe, on peut s’entendre dire : « Mebyouâa » (vendue). « C’est X qui a acheté la pompe. Si tu n’es pas content, va te plaindre à Bouteflika ou à qui tu veux ! ».
« Je connais quelqu’un aux frontières qui possède 7 semi-remorques avec des réservoirs de 10 000 litres sur chaque tracteur », affirme Aziz.
Pour tremper dans ce type de trafic, il faut avoir les reins solides, les épaules larges et les bras longs, affirme Aziz. Sûrs de leur puissance, les trafiquants sont arrogants face aux petits policiers des frontières qu’ils peuvent relever de leur poste sur un simple coup de téléphone.
Ces policiers là n’arrêtent que des petits poissons qui essaient de faire passer quelques jerricans sur une charrette tirée par des ânes. Pour les gros bonnets, les routes sont « achetées » et « sécurisées ». C’est ce trafic qui fait vivre toute la population des deux côtés de la frontière.
Pour passer vers Oujda, première ville du Maroc passée la frontière avec l’Algérie, des pistes ont été tracées au bulldozer à 8 000 dinars l’heure, raconte Aziz. Le chauffeur appelé à convoyer de nuit le gasoil au-delà des frontières se fait jusqu’à 10 millions de centimes par mois. Un complice marocain l’attend pour récupérer la marchandise.  Au final, les comptes sont très bons. Il bénéficie d’un appartement, d’une femme de ménage et tient table ouverte dans les meilleurs restaurants.
Milieu interlope
A force de fréquenter dealers et trafiquants de tout acabit, Aziz connaît tout des petites et grandes combines de ce milieu interlope. « Je connais des gens qui ont bâti des fortunes colossales en Algérie », dit-t-il.  Alors, il raconte cette anecdote.
Un jour, Aziz entre dans un restaurant marocain en compagnie de son ami passeur de coke et de quelques autres margoulins. Les gigantesques plats de poissons et de fruits de mer défilent au rythme des bouteilles de whisky qui se vident ou deux trois levers de verre.
Le repas est gargantuesque. Histoire de faire honneur aux codes de la table, Aziz veut payer son « petit coup ». Lorsqu’il tire de sa poche un billet de 100 dirhams, son compagnon de table manque de s’étouffer en avalant son whisky : « T’es walou ( rien) avec ton billet de 100 dirhams ! Cache-moi ça ! ».
Ce compagnon, rencontré un jour dans un cabaret à Oran, faisait des « tebriha » (dédicace de chanson), à coups de liasses de 20 millions de centimes. Quand Aziz lui demande comment il fait pour avoir autant d’argent, celui-ci répond : « Rak ragued, kho (tu dors, mon frère). Nous, on fait de gros coups. On n’est pas du menu fretin comme toi. Denia hadhi koul ou wekkel (la vie c’est du donnant-donnant)».
Dans un long soupir qui exhale la fumée d’une blonde américaine, Aziz confie que ce bonhomme n’a pas encore 30 ans et qu’il possède une Mercedes qui vaut 130 briques. « En Algérie, si tu es trop sérieux, tu auras toujours faim. Par contre, quand tu as de l’argent tu peux remplir la bouche de celui qui veut te causer des problèmes et il se tait aussitôt », conclut-il d’un ton philosophe.