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lundi 24 octobre 2011






Libye: Le cnt veut appliquer la chariâaLes nouvelles autorités libyennes, qui ont fêté dimanche la libération totale du pays du régime autoritaire de Kadhafi, doivent annoncer dans les prochaines semaines la formation d’un gouvernement «intérimaire», alors que la proclamation de la Chariâa comme fondement de la législation par le n°1 du CNT a fait «vaciller», hier lundi, quelques capitales «amies». Selon le président du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdeljalil, un gouvernement de transition sera installé «d’ici deux semaines ».

«Nous avons commencé les discussions (sur la formation d’un gouvernement) et cette question ne prendra pas un mois mais sera terminée d’ici deux semaines», a-t-il indiqué au cours d’une conférence de presse.
Selon la feuille de route du CNT, publiée fin août dernier, le pouvoir sera remis à une assemblée élue dans un délai de huit mois maximum et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Pour autant, le nouveau sujet chaud de l’actualité libyenne est cette déclaration du président du CNT qui a affirmé que la législation du pays serait fondée sur la Chariâa (loi islamique).
«En tant que pays islamique nous avons adopté la Chariâa comme loi essentielle et toute loi qui violerait la Chariâa est légalement nulle et non avenue», a indiqué M. Abdeljalil devant des dizaines de milliers de personnes réunies lors de la cérémonie de proclamation de la «libération» du pays. Une déclaration qui a suscité un certain étonnement, si ce n’est un émoi non dissimulé dans plusieurs capitales européennes.

L’Union européenne a appelé, hier lundi, les nouvelles autorités libyennes à «respecter les droits de l’Homme et les principes démocratiques», en réaction à l’annonce de l’introduction de la Chariâa dans le pays. «Nous attendons de la nouvelle Libye qu’elle soit fondée sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques », a déclaré la porte-parole Maja Kocijancic, de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton.
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a également manifesté son inquiétude, sur les «menaces de régression » en Libye, et a appelé les Libyens à faire preuve de «vigilance», a déclaré lundi sa présidente.

«Incontestablement cela m’inspire une inquiétude à l’égard de ce qu’il faut appeler clairement des menaces de régression (…). Les Libyens et les Libyennes doivent faire preuve de vigilance. Il n’y a pas eu des milliers de morts pour qu’aujourd’hui, il y ait un retour en arrière à l’iranienne», a déclaré Souhayr Belhassen.
VOLTE-FACE D’ABDELDJALIL
La réaction de M. Abdeldjalil sera immédiate, indiquant que les Libyens étaient des «musulmans modérés», dans un geste qui veut rassurer la Communauté internationale, inquiète soudain de la probable émergence d’un Etat théocratique au Maghreb. «Je voudrais que la Communauté internationale soit assurée du fait qu’en tant que Libyens, nous sommes musulmans, mais musulmans modérés», précise le Président du CNT.
«En tant que musulmans, nous respectons les règles de l’Islam. Elles ne représentent aucun danger pour quelque parti politique ou faction que ce soit», a-t-il insisté.
Il a répété que la Chariâa devait être la source de la législation mais précisé que cela ne voulait pas dire que les lois en vigueur seraient sommairement abrogées. «Ma référence hier (à la Chariâa) ne signifie pas l’amendement ou l’abrogation d’une quelconque loi», a-t-il expliqué
«Lorsque j’ai cité comme exemple la loi régissant le mariage et le divorce, j’ai juste voulu donner un exemple (de lois allant à l’encontre de la Chariâa), car la loi (actuelle) n’autorisera la polygamie que dans certaines conditions. M. Abdeldjalil a également annoncé l’ouverture de banques islamiques en Libye qui, conformément à la loi islamique interdisent de toucher des intérêts.
«Il y a de bonnes intentions derrière la régulation de la loi sur les banques. Nous cherchons en particulier à établir des banques islamiques qui (…) interdiront l’usure dans l’avenir, selon la tradition islamique», a-til indiqué. Par ailleurs, une enquête sur les circonstances de la mort de Mouamar Kadhafi, lynché puis abattu d’une balle dans la tête après sa capture près de Syrte, a été ouverte.
«Pour répondre aux requêtes internationales, nous avons commencé à mettre en place une commission chargée d’enquêter sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi dans l’accrochage avec son entourage, au moment de sa capture», a déclaré M. Abdeljalil, lors d’une conférence de presse à Benghazi. Selon lui, tous les Libyens auraient voulu «juger (Kadhafi) pour ce qu’il leur avait fait, des exécutions aux emprisonnements en passant par le gaspillage de la richesse du pays».
KADHAFI MORT PAR BALLES
«Les Libyens libérés voulaient que Kadhafi passe autant de temps que possible en prison et se sente aussi humilié que possible», a-t-il insisté, ajoutant : «ceux qui avaient intérêt à cette mort rapide étaient ceux qui le soutenaient». En fait, l’autopsie effectuée sur le corps de Kadhafi confirme qu’il a été abattu à bout portant d’une balle dans la tête.
Le docteur Othman El-Zentani, qui a autopsié son corps et celui de son fils Mouatassim, ainsi que celui du ministre de la Défense Aboubakr Younès Jaber, est catégorique : ‘’c’était une autopsie standard complète, conforme à toutes les normes scientifiques et de l’Union européenne». «Leurs blessures nous ont indiqué combien de blessures par balles ontils reçues. (…) Nous avons des réponses à toutes les questions», dont celle de savoir si Kadhafi est mort lors de combats ou a été exécuté, a-t-il ajouté.
«Nous parlons de mort par balles pour tous les trois», a précisé le légiste, sans vouloir donner plus de précisions. Selon lui, «le feu vert (pour communiquer sur le sujet) sera donné dans les prochains jours», et «rien ne sera caché». Enfin, des ONG de défense des droits de l’Homme commencent à dénoncer des massacres dans la ville de Syrte, où des dizaines de cadavres violentés ont été trouvés par les humanitaires.


Ennahda en Tunisie, le CNT en Libye. Après la chute des régimes dictatoriaux de Ben Ali et Kadhafi, les deux nouvelles forces qui s’imposent dans ces deux pays affichent leur islamo‑conservatisme. En Tunisie, le parti de Rached Ghannouchi revendique un islamisme modéré et assure qu’il n’entend pas revenir sur
 les grands acquis que sont les droits des femmes et les libertés individuelles.
 
En Libye, les leaders du CNT commencent à révéler le modèle de société qu’ils entendent construire dans le pays libéré de son tyran. Dans un discours prononcé hier dimanche, le président du conseil national de transition, Moustapha Abdeljalil, a affirmé que la future loi du pays sera basée sur la chariâa. S’il est revenu sur la question de la polygamie après les inquiétudes exprimées par plusieurs pays Occidentaux, l’interdiction de l’alcool et l’inégalité des hommes et des femmes sont toujours évoquées.
 
Ainsi, d’ici quelques mois, l’Algérie risque d'avoir à ses frontières Est deux pays dirigés par des 
gouvernements en majorité composés d’islamistes.  Cette situation ne manquera pas d’avoir des répercussions en Algérie, où plusieurs courants et personnalités islamistes sont déjà en train de se positionner dans l’attente de la mise en place des réformes politiques annoncées par le président de la République et actuellement discutées au Parlement. Certains anciens leaders du FIS ont même fait leur retour sur la scène politique et médiatique ces derniers mois, comme par exemple El Hachemi Sahnouni
 qui fustige la consommation d’alcool et mène une médiation pour la libération de détenus politiques, ou encore Anouar Haddam qui annonce son retour en Algérie après un exil de dix ans aux États‑Unis. Ces victoires des courants islamistes chez nos voisins pourraient les inciter à être encore plus actifs.
 
D’autant que les islamistes algériens pourraient compter sur le soutien ou la bienveillance de leurs homologues tunisiens et libyens. En effet, le CNT a déjà des relations étroites avec les leaders de l’ex‑FIS. Ainsi, Abassi Madani a rencontré à plusieurs reprises des responsables du CNT au Qatar où il vit en exil. Régulièrement, l’émir du Qatar réunit autour de lui l’ancien chef du FIS avec d’autres responsables islamistes, dont des dirigeants actuels du CNT. Ce n’est pas un hasard si Abassi Madani a réclamé très tôt la reconnaissance du CNT par l’Algérie.
 
 
Un terreau propice au renouveau de l’islamisme politique
 
Le pouvoir algérien a assis sa légitimité ces vingt dernières années sur la lutte contre l'islamisme politique. Une position mal vue par les mouvements islamistes dans la région. La répression d'Ennahda en Tunisie est intervenue en 1992, après celle du FIS en Algérie. Les militants des deux partis ont partagé la contrainte de l'exil et se sont forgé des relations et des amitiés solides. Et l’ancien président Ben Ali a toujours  cité la terrible expérience algérienne pour justifier sa politique anti‑islamiste. Ennahda, qui s’apprête à accéder au pouvoir en Tunisie, ne l'a sans doute pas oublié.
 
Dans ce contexte, quelle attitude les autorités algériennes vont-elles adopter face à cette nouvelle donne ? Après la vague des révoltes arabes qui a déjà poussé le pouvoir à faire des concessions, l’Algérie doit faire face au risque d’islamisation de la région. Jusqu’ici, le régime a toléré une certaine expression en interne du conservatisme religieux, qui suscite l’adhésion d’une partie de la population. Va‑t‑il continuer dans cette voie ou durcir le ton ?
 
Sur le plan international, Alger pourrait aussi tenter de trouver de nouveaux partenaires pour contrer cette pression venue de l’Est. Y aura‑t‑il un rapprochement avec le Maroc, afin de faire bloc dans les futures relations maghrébines ? Le Maroc ne serait d'ailleurs pas opposé à une telle option. Ou assistera‑t‑on à une relance des relations privilégiées avec les autres pays du Sahel, dans une logique plus globale de renforcement de son influence au sein de l’Union africaine ? C’est en tout cas déjà chose faite en ce qui concerne le deuxième cas, avec une intensification des discussions au plus haut niveau entre les pays du Sahel. Et la lutte antiterroriste n’est pas le seul sujet au menu des discussions.