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mardi 26 juillet 2011

Algerie:entretien

Salah Mouhoubi, économiste et politologue : «L'informel est une bombe à retardement »

Salah Mouhoubi, économiste et politologue, passe en revue, dans cet entretien qu’il nous a accordé, la politique économique du gouvernement. Il considère que les récentes augmentations de salaires et les mesures à caractère social qui font fait exploser le budget de fonctionnement de l’Etat menace l’économie algérienne.Entretien.

DNA : D’année en année les dépenses publiques augmentent, des sommes colossales sont injectées dans le circuit économique mais on ne perçoit pas vraiment un décollage comme claironne le gouvernement.
Salah Mouhoubi : On constate que le budget de l’Etat augmente de manière vertigineuse depuis quelques années. Les dépenses publiques ont explosé. Les augmentations de salaires et les mesures à caractère social ont fait exploser le budget de fonctionnement. C’est une tendance dangereuse car toutes ces dépenses n’ont pas une contrepartie économique. Bien au contraire, elles ont pour effet de pousser la demande et les importations. Les conséquences sont immédiates. Les importations explosent et l’inflation est relancée.
Le gouvernement adopte chaque année une loi de finances complémentaires, une démarche plutôt exceptionnelle qui devient une règle. Comment l’expliquez-vous?
Malheureusement, elle est devenue une pratique : derrière une loi de finances se profile une loi de finances complémentaires. Il y a forcément un problème de visibilité et de maîtrise des paramètres économiques et sociaux.
Mais pourquoi recourir à une LFC ?
Parce que chaque fois, il résulte des imprévus à prendre en charge sur un plan budgétaire. L’Etat, pour les prendre en charge, promulgue une loi de finances complémentaires. C’est uniquement pour ça. Parfois aussi, il s’agit de dispositions ayant trait à la politique économique et financière du gouvernement comme le crédit documentaire dans la LFC 2009. Et c’est pour ça que je dit qu’il faut espérer que le gouvernement maîtrise dans l’avenir l’évolution des paramètres économiques et sociaux.
Vous avez appelé à la suppression  de toutes les subventions…
La caractéristique de l’économie algérienne est que les subventions sont généralisées à tous les secteurs et services publics en plus des produits de première nécessité. C’est une politique inefficace, irrationnelle et sans objectif économique précis. La recherche de la paix sociale et de la stabilité ne doit pas passer avant les objectifs économiques. C’est une politique de courte vue car la paix sociale et la stabilité sont réalisées grâce à l’économie et ses performances. C’est la création de richesses qui atténue les tensions sociales, crée des emplois et contribue ainsi à la paix sociale et à la stabilité.
Que faire à court terme ?
L’Algérie est un pays où tout est subventionné sans aucune contrepartie économique puisque l’Etat donne et ne reçoit rien. A titre d’exemple, on augmenté les salaires de toutes les catégories sociales mais la subvention des produits alimentaires est toujours de vigueur. Ce qui n’est pas normal. Ces subventions sont contraignantes pour les finances publiques et injustes parce qu’elles touchent tout le monde. L’on sait que c’est l’embellie financière qui permet cette politique. Or, le développement du pays exige une utilisation plus rationnelle de ces ressources financières.
Que est la solution ?
Je pense qu’il primordial d’ouvrir un débat national sur cette question pour sensibiliser la population au fardeau financier et aux enjeux économiques. Il est impératif d’avoir un consensus national sur cette question sensible. Il faut une feuille de route de 3 à 4 ans pour supprimer toutes ces subventions. La suppression de ces subventions ne signifie pas absence de solidarité nationale. L’Etat continuera à apporter son aide sous forme de dotations financières aux catégories les plus défavorisées.
Qu’y aurait-il dans cette feuille de route ?
Il faut qu’il ait d’abord débat national pour éviter toute instrumentalisation politique de la question. Des gens vont dire au Algériens que l’Etat va vous affamer etc. Il faut leur expliquer les enjeux et leur dire que ces subventions coûtent très cher au trésor public et qu’elles sont contreproductives et qu’elles n’ont aucune contrepartie économique. Elles sont aussi injustes parce qu’elles bénéficient à tout le monde. Il faudra procéder autrement et décréter des dotations financières aux catégories défavorisées seulement. Que l’Etat doit utiliser ces ressources de manière rationnelle de manière à stimuler la croissance et créer de la richesse.  C’est pour éviter la spéculation aussi et juguler la fuite des produits subventionnés à travers nos frontières.
Vous dites aussi que les augmentations des salaires sont sans contrepartie économique. Or, c’est la revalorisation du pouvoir d’achat qui va booster la demande et donc, tirer l’offre vers le haut et stimuler la croissance…
Dans le cas de l’Algérie, cette analyse mérite d’être sérieusement nuancée. Il y a une forte revalorisation du pouvoir d’achat grâce au doublement des salaires et avec, souvent, un effet rétroactif. Cette politique a déjà fortement poussé la demande mais, malheureusement, l’offre est toujours rigide. En Algérie, nous ne disposons pas encore d’une économie forte et diversifiée. L’ajustement entre l’offre et la demande se fait par les prix, d’une poussée de l’inflation, et un recours aux importations qui ne font qu’augmenter. Certes, la revalorisation du pouvoir d’achat a permis d’améliorer les conditions de vie des Algériens mais pas forcément au bénéfice de l’économie.
Que proposez-vous ?
Il faut une politique salariale cohérente basée sur les performances de l’économie nationale. Il faut arrêter ces augmentations faramineuses qui créent beaucoup plus de problèmes qu’elles ne règlent. Il faut bâtir une économie sans subvention dans le cadre de cette nouvelle approche. Aussi, la lutte contre le secteur informel devient un préalable. Regardez par exemple, du côté des transporteurs. Si nous allons dans n’importe quelle station, nous débusquons des dizaines de personnes qui doivent aller en prison, parce que la quasi-totalité des chauffeurs et receveurs ne sont pas déclarés à la sécurité sociale pourtant ils touchent un revenu. Ces gens ne cotisent pas et pourtant se soignent gratuitement.
Un manque à gagner donc....
Vous imaginez le manque à gagner ! C’est une bombe à retardement. Je dis qu’au moment où l’Algérie envisage de se doter d’un projet de réforme politique et institutionnel, il est urgent qu’elle réfléchisse également à un projet de réforme économique pour aboutir à la suppression de toutes les vulnérabilités du pays. En données chiffrées, si le pétrole descend à 40 USD et que cela perdure 3 ans, l’Algérie épuisera l’ensemble de ses réserves de change (pour financer son budget et ses importations).
En quoi l’informel constitue-il une bombe à retardement ?
Les gens qui travaillent dans l’informel ne cotisent pas aux caisses d’assurance maladie et au fond de retraite. Et pourtant ils se soignent gratuitement, envoient leurs enfants à l’école au même titre que les contribuables alors qu’ils ne paient pas d’impôts. Et ces gens qui ne cotisent pas, plus tard, une fois à l’âge de retraite qui va les prendre en charge ? Non seulement cela aggrave le déficit des caisses d’assurance et de retraite mais, c’est l’Etat qui devra les prendre en charge. Et ça, c’est une bombe à retardement.


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