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mardi 16 août 2011

Exclusif. Entretien avec le Pr Noam Chomsky. Partie 4


 La crise financière : Les banques contrôlent les gouvernements et l’argent des contribuables (+ Audio)

Dans un entretien téléphonique qui a duré 40 minutes, Noam Chomsky nous a livré ses analyses sur les révoltes populaires en Tunisie, en Égypte et dans d’autres pays et l’embarras des États-Unis, d’Israël et de l’Europe qui craignent de voir des régimes “amis” tomber et remplacés par des démocraties libres.
Nous avons également abordé avec lui plusieurs autres points : la situation en Algérie, le positionnement militaire américain dans la région du sahel, la nature de l’AQMI, etc.
Il a aussi été question dans l’entretien, des dernières révélations de wikileaks, de la politique d’Obama au Moyen-Orient, du cas iranien, de la politique israélienne, des attentats du 11 septembre,…
Algerie-Focus.com : Quelle est votre analyse de la crise financière actuelle. Quelles conséquences pourrait-elle avoir sur le monde, devons-nous nous attendre à des conflits armés comme ce fut le cas à l’issue du crash financier de 1929 qui a abouti à la deuxième guerre mondiale ?
Noam Chomsky : Avant tout je ne pense pas qu’il y ait de chance que quelque chose comme la seconde guerre mondiale soit envisageable. Il y a un super pouvoir avec une force militaire écrasante et pas de concurrent. La crise financière est réelle, les sources en sont bien comprises et on peut les retracer jusqu’au changement économique qui a eu lieu en Amérique et en Grande-Bretagne dans les années 70. A ce moment là les institutions financières – je parle des Etats-Unis mais la situation était similaire ailleurs – étaient régulées par les règles du New Deal. Il n’y avait pas eu de crise financière pendant les années précédentes, qui furent les années qui ont connues la plus importante croissance économique dans l’histoire Américaine. Dans les années 50, 60 et 70 pas de crise !
Les institutions financières existaient mais elles assumaient les fonctions habituelles de telles institutions dans une société capitaliste, c’est-à-dire prendre des actifs inutilisés, comme les comptes bancaires, et en faire des investissements productifs. Et c’est à peu près ce qu’elles faisaient.
Cela a substantiellement changé dans les années 70. Le pouvoir des institutions financières a explosé. Il y a eu une énorme augmentation des flux de capitaux spéculatifs et seulement un faible pourcentage de bénéfices des entreprises – à ce moment là peut-être un tiers de bénéfices des entreprises. Et les institutions financières se sont détournées de leurs fonctions traditionnelles et constructives dans une société capitaliste. Elles ont commencé à se tourner vers le risque, que sont essentiellement les jeux financiers, jouer avec l’argent, faire des investissements risqués au moyen d’instruments financiers compliqués et exotiques et depuis il y a crise après crise. Il y en a eu plusieurs pendant les années Reagan. En fait Reagan a terminé sont mandat en 1988 en laissant derrière lui une crise financière majeure à gérer, la pire sur l’épargne et le crédit, depuis la grande dépression.
La mania de la dérégulation a continué pendant les années Clinton sous l’influence dominante des institutions financières. Avec le temps, l’accroissement de leur rôle économique s’est traduit aussi par un pouvoir politique accru. Les années Clinton se sont terminées avec un autre crash boursier celui de la bulle Internet.
A chaque fois les problèmes restent identiques et font le lit de la prochaine crise. Il y a si peu de régulation que c’est presque une garantie de crise ! Les régulations légales limitées sont manipulées par une énorme armée de lobbyistes, alors en définitive aucune ne s’applique. C’est inhérent au système boursier, les transactions ne prennent pas en compte, ce qu’on appelle le risque systémique. Par exemple, si Goldman Sachs prend bien en compte son propre risque il n’en fait pas de même du risque d’écroulement du système dans son ensemble. Si quelque chose va mal, cela s’appelle « l’externalité » en jargon économique et vous n’y faites pas attention.
Ce seul fait est une garantie de crise et cela a été augmenté par de très perverses incitations. L’une d’entre-elles est une police d’assurance gouvernementale, elle s’appelle « trop grande pour tomber ». Donc si les banques majeures et les firmes d’investissements font des transactions extrêmement risquées et en conséquence font d’énormes profits, si cela tourne mal et se crashe – et qu’éventuellement elles emportent tout le système avec elles -, elles peuvent avoir confiance car le contribuable entrera dans la course et les couvrira. C’est exactement ce qu’il s’est passé cette fois-ci, comme dans les cas précédents, cela s’appelle trop grandes pour faillir, trop grandes pour les laisser filer.
Ceci est une vraie police d’assurance, incidemment une parmi tant d’autres, qui encourage le risque élevé et un comportement hautement rentable. Le public paiera si ça ne se passe pas comme prévu, alors pourquoi se priver. Tout cela sera remboursé et cela pose aussi les bases de la prochaine crise financière qui sera sans doute pire que celle-ci. C’est presque inévitable quand un système de marché dans l’arène financière est autorisé à fonctionner avec extrêmement peu de régulation et avec des incitations à poursuivre des opérations risquées et potentiellement dommageables mais extrêmement profitables. Cela est accru par les instruments financiers qui ont été développés par les banques, il y a les concepts de produits dérivés, les polices d’assurance contre les pertes, les hypothèques sécurisées, qui ont été le noyau de cette crise particulière des sub-primes, alors oui il y en aura une autre !
Actuellement les institutions financières sont si puissantes qu’elles ont une influence écrasante sur le système politique et c’est la conséquence de ce qui s’est passé tout au long des 30 dernières années, plus dramatiquement aux Etats-Unis, mais ailleurs dans le monde aussi, c’est la politique gouvernementale.
Traditionnellement, la politique du gouvernement, dans un état capitaliste faisant parti des sociétés occidentales, est de l’ordre des impôts et des taxes. D’autres politiques gouvernementales, dans une certaine mesure – minime, mais quand même – doivent tendre à compenser l’énorme inégalité qui se développe si on permet aux marchés de fonctionner librement.
En Europe c’est encore partiellement le cas, mais aux Etats-Unis, durant ces 30 dernières années cela a été l’opposé. La politique du gouvernement a été étudiée pour accroître l’inégalité de manière très intense. Les impôts par exemple, ils ont été nettement réduits pour les plus riches mais soutenus pour les autres, cela, bien sur, est l’exact opposé de ce que devrait être une politique fiscale et cela est en partie la raison pour laquelle la richesse a été si lourdement concentrée sur les 1%, ou encore moins, de la population. Les politiques ainsi mises en place sont conçues à cet effet.
Et il existe en quelque sorte un cycle qui s’auto-renforce, plus la richesse est concentrée plus important devient le pouvoir politique de cette minuscule fraction de la population, qui utilise ce pouvoir pour encore plus accroître sa propre richesse, c’est donc la crise aux Etats-Unis et elle s’étend ailleurs.

Entretien réalisé par Fayçal Anseur
Entretien en anglais

Algeri-Focus.com : What is your analysis of the current financial crisis and what consequences could it have on the world?
Do you think we could expect armed conflicts like 2nd world war followed the 1929 crack ?
Noam Chomsky : I don’t think that there is much prospect of anything like 2nd World War for one thing. There is one super power with overwhelming military force and no competitor, but that’s not likely. The financial crisis was real the sources are pretty well understood they trace back to the significant economic shift that was undertaken in the US and Britain and major powers back in the 1970’s. At that time, the financial institutions – I’ll keep with the US, but it was similar elsewhere – were regulated under the New Deal regulations. There hadn’t been a financial crisis for the preceding years which were the years of greatest economic growth in American history in the 1950’s, 60’s and 70’s no crisis.
The financial institutions were there but they were pursuing the function of such institutions. They have a function in the capitalist society: they are supposed to take unused assets like bank accounts and turned them to productive investments, and that’s pretty much what they were doing.
Well that changed substantially in the 1970’s the financial institutions exploded in power. There was a huge increase in flows of speculative capital, then there were a few percent of corporate profits, by now maybe a third of corporate profits, and they turned away from the traditional constructive function in a capitalist society. They began to turn to the risk tube, essentially financial games, playing with money, risky investments, complicated exotic financial instruments and there’s been crisis after crisis ever since. Several during the Reagan years; in fact Reagan left office in 1988 with leaving a major financial crisis to be dealt with, the worst one since the great depression, on savings and loans.
The deregulation mania continued during the Clinton years under the dominant influence of the financial institutions by then their increased role in the economy also meant increased political power. The Clinton years ended with another crash in the tech bubble. It got worse under the George W. Bush years which led finally to the great financial crisis. Each time, the problems remain the same and the basis is laid for the next crisis. There is very limited regulation which is almost a guarantee of crisis. What limited regulation there is by law is manipulated by huge army of lobbyists, so nothing applies. It’s inherent in a market system that transactions don’t take account of what’s called the systemic risk. So, for example, if at Goldman Sachs they take into account their own risk but they don’t’ take into account the risk of breakdown of the whole system if something goes wrong. It’s called, in economic jargon, externality, which you don’t pay attention to.
Well that alone is a guarantee of crisis and that’s increased by very perverse incentives. One of them is a government insurance policy, it’s called “too big to fail”. So if the major banks and investments firms make extremely risky transactions, and hence make a lot of profit, and then it goes bad, and crashes, and maybe bring all system down with it. They can be confident that the tax payer will move in and bill them out. Which is exactly what happened this time as in the earlier cases that’s called: too big to fail, to big to let them go.
That’s an insurance policy, one of many incidentally, which encourages highly risky and highly profitable behaviour. The public will pay for it if anything goes wrong, then why not doing it. That’s being reconstituted and this also laying the basis for the next financial crisis, probably worse than this one. That’s almost inevitable when a market system in the financial arena is allowed to function with extremely little regulation and with incentives to carry out risky and potentially damaging, but very profitable operations. That’s all expanded by the exotic financial instruments that have been developed; there are concept derivatives, insurance policies against lost, secure mortgages, which are a core part of this particular crisis. All that is reconstituted. So yes there will be another one!
By now the financial institutions are so powerful; they have overwhelming influence on the political system as well. One of the things that has happened in the past 30 years, dramatically in the US, but elsewhere too is, the government policy.
Traditionally government policy in the western state capitalist societies have had something of a tax policy another government policies have to some extent – a minimal extent – but some extent, compensated for the enormous inequality that develops if market systems are allowed to function freely.
In the Europe it is still partly the case but in the US, in the last 30 years it has been the opposite. The government policy has been designed to increase inequality very sharply. Take a look at taxes, they have been sharply reduced for the very wealthy but sustained for the rest that of course has the exact opposite of what a tax policy is supposed to be in a society. That’s much part of the reason why the wealth has been so heavily concentrated in the top 1% or even less of the population. Policies are designed to have that effect.
And there is a kind a self-reinforcing cycle the more wealth is concentrated the greater the political power of that tiny fraction of the population, who use that power to increase their wealth even more, that’s the crisis in the United States and it extent elsewhere.
Interview by Fayçal Anseur

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